Friedrich Sustris (attribué à) (vers 1540 Amsterdam - 1599 Munich)
1568 - 1573
Plume et encre brune, lavis brun sur traits de crayon noir, mise au carreau au crayon noir ; 20 x 15,2 cm
Provenance :
Paris, collection Alfred Normand (marque de collection Lugt 153c au verso) ; Paris, galerie La Scala (en 1991) ; Monaco, Christie's, 20 juin 1994 ; Paris, Tajan, 24 mai 2017 (attribué à Andrea Boscoli).
Bibliographie :
Thomas DaCosta Kaufmann, Drawings from the Holy Empire, 1540-1690 : a selection from North American collections, Princeton, Princeton University Press, 1982.
La connaissance du dessin germanique à la Renaissance et à l’époque classique doit beaucoup à une exposition organisée en 1982 par Thomas DaCosta Kaufmann, et dont le catalogue a guidé l’attribution de ce dessin à Friedrich Sustris, présenté comme « vraisemblablement l’un des meilleurs dessinateurs de son temps ». Son style des débuts, illustré par une Allégorie de la Paix (Brunswick, Bowdoin College), y est caractérisé par « the fleeting, unemphasized outlines » qu’on retrouve ici, et rappelle le vers de Verlaine : un tracé « sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». On retrouve aussi les vêtements amples mais seyants, les mains fines aux doigts recourbés, d’un autre dessin passé récemment en vente publique (Londres, Sotheby’s, 9 juillet 2014, n° 3) ; et un feuillage très comparable à celui d’un dessin présent dans l’exposition de 1982, Vénus et Adonis (collection privée).
Friedrich Sustris appartient au maniérisme international, un courant qui traverse l’Europe de 1540 à 1600 environ, comme l’avait fait le gothique international autour de 1400, et qui relativise la notion d’école « nationale » au profit de « modes » très semblables d’un centre artistique à l’autre. Fils de Lambert Sustris, lui-même né à Amsterdam et collaborateur de Titien à Venise, Friedrich a travaillé à Florence au service des Médicis, puis à Augsbourg, à celui des Fugger, avant de s’établir comme architecte, décorateur et peintre des ducs de Bavière à Landshut puis à Munich. Et comme il traverse les frontières, le maniérisme fond les styles. On retrouve dans ce dessin tant le souvenir de Michel-Ange (la Madone du Tondo Doni) que celui, certes dominant, de Raphaël (dans la composition, la grâce de l’ange) le tout nuancé d’une franchise plus germanique.
Abraham, après avoir eu un fils (Ismaël) de sa servante Agar, en a un autre de son épouse Sarah, jusqu’alors stérile. Famille recomposée, mais dysfonctionnelle. Abraham renvoie dans le désert Agar et Ismaël, qui bientôt souffrent de la soif. Un ange apparaît, qui leur indique un puits. Le sujet, tiré du Livre de la Genèse, est absent de l’art du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Il apparaît avec l’exégèse biblique portée, dès le début de la Réforme, par Luther et le cardinal et théologien catholique Cajetan, dans un contexte où Agar est perçue moins comme la rebelle que fustigeait saint Paul (Épître aux Galates) que la victime bénéficiant de la grâce divine – sujet clé de la Réforme.
C’est à Augsbourg qu’en 1518 Luther et Cajetan s’étaient confrontés, puis qu’en 1555 fut signée la paix organisant une coexistence précaire entre protestants et catholiques en Allemagne. Il est tentant de penser que c’est là aussi qu’entre 1568 et 1573 Friedrich Sustris a conçu ce dessin, dans un style encore très italianisant.