Albert Gleizes (1881 Paris - 1953 Avignon)
1939
Gouache et crayon de papier sur carton ; cachet de l'atelier sur le dos du montage d'origine ; 14,7 x 10,5 cm
Provenance :
Paris, collection Juliette Roche-Gleizes ; France, collection privée ; Paris, Hôtel Drouot, 1er juin 2016.
Bibliographie :
Anne Varichon, Albert Gleizes, catalogue raisonné de l'œuvre de l'artiste, Paris, Somogy éditions d’art, 1998, n° 1676.
Albert Gleizes, comme Georges Rouault, est un artiste foncièrement indépendant, imprégné de mysticisme, épris de réflexion sur les voies et moyens de l’art. Il fut, avec Jean Metzinger, le premier théoricien du cubisme (Du Cubisme, Paris, 1912) et dans la Forme et l’Histoire (Paris, 1932), il explique que l’architecture est à la base de tous les arts.
On retrouve la double influence de l’architecture romane et du cubisme analytique dans cette gouache préparatoire à une immense toile (360 x 265 cm) dont on a perdu la trace au début des années 1950, après qu’elle eut été exposée au Palais des Papes d’Avignon, puis au Musée National d’Art Moderne à Paris.
Très affecté par l’approche de la guerre, le peintre réalise entre 1939 et 1940 deux tableaux de très grande dimension, sur les thèmes de la chute de Babylone (la toile aujourd’hui perdue) et celui du Pape et de l’Empereur (Lyon, Musée des Beaux-Arts).
Dans le fond, ces deux thèmes irriguent la pensée du Moyen-Âge, de la grande peur de l’an 1000 au sac de Rome en 1527. La chute de Babylone est une préfiguration de l’Apocalypse, et le sac de Rome par les troupes de Charles Quint, moment crucial de l’histoire de la chrétienté et de l’art occidental, une répétition de la chute de Babylone : le gigantesque chantier de la basilique Saint-Pierre faisant écho à celui de la tour de Babel ; et le schisme protestant, récusant la liturgie latine, à la division des peuples résultant de la confusion des langues.
Dans la forme, Albert Gleizes s’inspire, pour le premier de ces deux tableaux, d’une miniature de l’Hortus Deliciarum d’Herrade de Landsberg, l’un des plus intéressants manuscrits enluminés du 12ème siècle, perdu dans l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg en 1870 mais connu par des copies. Et pour la seconde, des retables italiens des 14ème et 15ème siècles.
D’où l’importance de cette gouache, plus compacte qu’une autre du même sujet, passée en vente en 2004 (Piasa, 8 décembre 2004), et d’une fraîcheur remarquable. Elle reprend et réordonne la mise en page et les couleurs de la miniature allemande, qui représente la chute de Babylone sous la forme allégorique d’une bête monstrueuse (la grande prostituée de Babylone) terrassée par les anges. On distingue, en haut à gauche, le carré des spectateurs ; en haut à droite, deux anges repérables à leurs auréoles plongeant leurs lances vers le bas, vers la bête ; en bas à droite, le mufle agonisant. La confusion règne, dans les esprits, mais sublimée, sur le papier, par une esthétique de l’ordre.