Henri Matisse (1869 Le Cateau-Cambrésis - 1954 Nice)
1918
Huile sur carton ; signé "Henri Matisse" en bas à gauche ; 33 x 40,9 cm
Provenance :
Paris, Galerie Bernheim-Jeune, (acquis auprès de l'artiste le 9 septembre 1918) ; Paris, Henri Matisse (rétrocédé par celle-ci le 9 octobre 1919) ; Japon, collection privée ; Paris, Christie's, 23 octobre 2020.
Bibliographie :
Guy-Patrice et Michel Dauberville, Matisse, Paris, 1995, vol. I, p. 682, no. 249 (illustré).
En juillet 1918, Matisse revient de Nice, où il s'était installé fin 1917, et rejoint sa femme à Maintenon, près de Chartres, où elle avait fui les bombardements allemands sur Paris. Il écrit à son ami Marquet, le 9 juillet : « C'est assez gentil, un ruisseau avec des saules et un pont. Mais d'autres distractions, aucune. » Il se remet à la peinture de plein air, comme déjà l'année précédente en forêt de Meudon, non loin de son atelier d'Issy-les-Moulineaux.
En comparaison du Petit pêcheur, Maintenon (collection privée), du Paysage à Maintenon (collection privée) et du Viaduc à Maintenon (Baltimore Museum of Art, the Cone Collection), au même format, Le Ruisseau, Maintenon est moins un paysage qu'un fragment de paysage, une expérimentation audacieuse qui mène Matisse au bord de l'abstraction.
L’artiste adopte un cadrage arbitraire et un point de vue surplombant pour mieux abaisser le regard à la base des arbres et vers le ruisseau, qui devient miroir. L’observation tourne à l’introspection.
Forme et couleurs se dissolvent et se reforment. Le tableau n’est plus une fenêtre par laquelle le peintre appréhende et rend lisible l’objet du tableau selon la théorie classique initiée par Alberti – et l’on sait par ailleurs l’interprétation littérale qu’en donne Matisse, le rôle de la fenêtre et de la porte-fenêtre dans son œuvre – mais plutôt un puzzle qui fait du tableau son propre sujet.
Ce faisant, Matisse retrouve l'inspiration japonisante issue de la découverte par l'Europe, à la fin du 19ème siècle, des ukiyo.e, les estampes dites « du monde flottant » : l'aplanissement et le décentrement de l'image, la schématisation de la ligne et la simplification du coloris. Ce n'est pas un hasard si cette œuvre est restée plus d'un demi-siècle dans une collection privée japonaise...