Henri Matisse (1869 Le Cateau-Cambrésis - 1954 Nice)
1903 - 1904
Plume et encre de Chine sur papier, marouflé sur carton ; signé « Henri Matisse » en bas à gauche ; 26,5 x 13 cm
Provenance :
Berlin, collection Curt Glaser ; Berlin, vente Max Perl, 18-19 Mai 1933 ; New York, Buchholz Gallery (Curt Valentin) ; New York, collection Walter P. Chrysler Jr. ; New York, Parke-Bernet Galleries, 11 avril 1949 ; New York, Christie's, 16 mai 2017.
Matisse fut aussi sculpteur, continûment de 1900 à 1914, par intermittence ensuite, et ce dessin est typique de ce qu’est un dessin de sculpteur. La forme y émerge du travail hachuré, répété, des ombres sur le papier.
Dans cette période, la sculpture de Matisse est inséparable de sa peinture et placée sous le double signe de Cézanne et de Rodin. Fin 1899, il avait acheté à Vollard les Trois baigneuses du premier (Paris, Petit Palais) et un Buste d’Henri Rochefort, en plâtre, du second.
Le modèle, de ceux qui travaillaient à l’éphémère Institut Rodin que fréquenta Matisse en 1900 et dans les ateliers de Montparnasse, est ici représenté dans une attitude de contrapposto. Iconographiquement, c’est de Madeleine II, un bronze de 1903 (qui faisait suite à une Madeleine I de 1901), qu’elle est le plus proche. Elle reproduit à l’identique, vue de dos et non plus de face, l’Académie bleue de 1899-1900 (Londres, Tate Gallery). Une influence plus souterraine est perceptible. Le trait incisif renvoie évidemment à la gravure, à laquelle Matisse s’essaie pour la première fois en 1900-1903, dans un autoportrait où il reprend l’attitude de Rembrandt dans un autoportrait gravé de 1648. Rembrandt s’était aussi représenté dessinant un modèle, de dos, la tête tournée vers la gauche, dans une gravure de 1639.
Esthétiquement, la réussite du dessin tient à la vitalité du trait, qui est la vitalité de l’artiste même, qu’on sent désireux, pressé, de modeler la figure, de lui imprimer le mouvement de rotation qui est celui tout à la fois du plateau tournant où posaient parfois les modèles, du relief cylindrique La Danse, de 1907 (Nice, Musée Matisse), et finalement de la célébrissime Danse de 1909 (Saint-Pétersbourg, Ermitage). Bref, de lui insuffler la vie : le mythe de Pygmalion.
Ce n’est donc pas un hasard si ce dessin, comme la première version de La Danse (New York, MoMA), a figuré dans la collection de l’industriel et grand collectionneur américain Walter Chrysler Jr. Il avait également appartenu à Curt Glaser, historien d’art allemand, défenseur de Munch et des expressionnistes, notamment de Beckmann, et ami personnel de Matisse.