Édouard Vuillard (1868 Cuiseaux - 1940 La Baule)
1898
Peinture à l’essence sur carton marouflé sur panneau ; cachet de l’atelier « E Vuillard » (Lugt 2497a) en bas à droite ; 34,6 x 55,2 cm
Provenance :
Atelier de l'artiste ; Paris, galerie Berri-Lardy ; New York, collection Erwin Swann ; New York, Grace Borgenicht Gallery ; Houston, Robert Rice Gallery ; New York, Sotheby's, 5 Novembre 1981 ; collection privée (en 2003) ; Londres, Christie’s, 24 juin 2010 ; Paris, collection Le Polyptyque ; Paris, collection privée.
Exposition :
Un siècle de chemin de fer et d'art (Paris, galerie Charpentier, 1955-1956).
Bibliographie :
Antoine Salomon et Guy Cogeval, Catalogue critique des peintures et pastels, vol. I, Paris-Milan, 2003, n° V-115.
C’est en 1890 qu’Édouard Vuillard rejoint le groupe des Nabis, par l’intermédiaire de Maurice Denis qui notera que Bonnard et Vuillard, à la différence de lui-même et de Sérusier, aimaient alors « les petits tableaux, sombres, d’après nature, faits de souvenir, sans modèle, petite importance des figures, et par conséquent du dessin ». Il y ajoute la « matière compliquée » (Journal, mars 1899). De fait Vuillard peindra tout au long de la décennie ces espaces confinés où, pourrait-on dire, les personnages « font tâche »…
Ce tableau, conservé dans l'atelier du peintre, est sans doute un des plus libres qu’il ait peint, à la limite du non-figuratif. Il étonne par sa fulgurance : un instantané ferroviaire, trois personnages en quête de sens parvenant à « tirer l’éternel du transitoire », comme le demandait Baudelaire à la modernité. Il n’a sans doute été que rarement compris. Son propriétaire le plus célèbre, Erwin Swann, fit don en 1974 de sa collection de caricatures à la Library of Congress. Vuillard évoque précisément Daumier lorsqu’il mentionne le tableau dans son Journal, Daumier qui le premier, en 1864, s’était risqué à peindre… un Wagon de troisième classe (New York, Metropolitan Museum).
Comme dans le Cri de Munch en 1893 (Oslo, Nasjonalmuseet), c’est de la solitude qu’il s’agit. Mais sans tragique – Vuillard lit beaucoup et fréquente Mallarmé, qui dans les Poèmes en prose affirme « J’ai toujours chéri la solitude »… La Lecture pourrait être, aussi bien, le sous-titre de ce tableau dont chacun des personnages est plongé dans un livre ou dans un journal. De même, le spectateur plonge le regard à l’intérieur de ce compartiment, peinant à distinguer les formes, baignant dans un somptueux accord de couleurs rares, et finalement arrivant à la fenêtre, où quelques touches de peinture claire ouvrent à la joie de peindre, et à l’espérance que Vuillard n’a cessé d’entretenir.
La délicatesse est rare dans l’art moderne : allier délicatesse et liberté n’est jamais facile. Vuillard l’a fait… Mais comme disait justement Mallarmé : « Vuillard peut tout faire. »