Johan Karl Loth (1632 Munich - 1689 Venise)
1677
Huile sur toile ; 74,9 x 42,5 cm
Provenance :
Londres, Christie’s, 11 décembre 2009 ; Paris, collection Le Polyptyque ; Stockholm, collection privée.
Bibliographie :
Oreste Ferrari, Bozzetti italiani dal Manierismo al Barocco, Naples, 1990.
Gérard (Gherardo) Sagredo appartenait à l’une des plus anciennes familles de Venise. Il devint évêque de Csanad, dans l’est de la Hongrie. En 1046, dans un moment de troubles civils et religieux, il fut assassiné à l’entrée de Buda, la capitale, sur la colline qui porte aujourd’hui son nom (Gellert en hongrois).
La famille Sagredo accéda aux plus hautes charges de la Sérénissime au 17ème siècle : Niccolo Sagredo, doge en 1675 mais qui mourut l’année suivante, et Alvise Sagredo, patriarche de Venise de 1678 à 1688. À cette même époque deux chapelles furent décorées à la gloire de saint Gérard, l’une à Venise à San Francesco della Vigna, l’autre à Padoue dans la Basilique Santa Giustina. Là fut installée en 1678, une toile gigantesque (presque 4 mètres de haut) de Johann Karl Loth dit aussi Carlotto, peintre d’origine allemande, installé à Venise en 1656.
On en connaît trois autres versions plus modestes. L’une, au musée de Strasbourg (176 x 99 cm), dans une tonalité inhabituellement claire qui la fit jadis attribuer à Pierre de Cortone. L’autre, localisée dans une collection privée parisienne en 1990 (93,5 x 55,5 cm), que nous ne connaissons pas. Enfin notre tableau, réapparu en 2009. Sa composition correspond au tableau de Strasbourg où figurent les cinq meurtriers mentionnés par les chroniques anciennes, alors qu’ils ne sont plus que trois à Santa Giustina ; mais le fond est plus sombre, voire goudronneux, le contraste de couleurs plus marqué, la touche plus libre.
On peut faire l’hypothèse, dès lors, que nous sommes en présence du bozzetto – la conception d’ensemble, moins élaborée qu’un modello – de l’œuvre finale, où les commanditaires auraient demandé au peintre d’éliminer le soldat armé d’un poignard et l’homme qui se penche en grimaçant, sans que cela nuise au déroulement du meurtre, puisque les mêmes chroniques nous disent simplement que le saint fut lapidé et achevé à coups de lance. Le tableau de Strasbourg serait alors soit un modello intermédiaire, soit plus probablement une reprise – peut-être pour la famille Sagredo – de la conception d’origine, dans un format et un coloris plus adaptés aux salons d’un palais vénitien.
Notre tableau est à la fois un formidable « condensé » du baroque – la représentation de la violence, la composition en spirale, le clair-obscur – et l’illustration de ce qu’un autre peintre vénitien, Sebastiano Ricci, écrivait avec esprit en 1735, au sujet d’un de ses bozzetti : « Le petit est l’original, le grand n’est que la copie. »